5 – Le chant de l’eau maudite

Les hauts sommets qui lui masquaient alors la vue dévoilèrent subitement une immensité d’azur où le ciel se mêlait à l’océan sans réelle distinction. La vaste étendue bleue vint se refléter dans les yeux laiteux de Sulfur, leur donnant au passage un air mélancolique. Il ne tarda pas à les baisser, effaçant toutes couleurs s’y réfléchissant. L’odeur de l’air avait également changé. Elle contenait une pointe d’iode qui se faisait plus présente à chaque pas s’insinuant non seulement dans ses narines mais aussi sur sa fourrure, sa peau, ses bois. Il jeta un coup d’œil vers le pied du massif montagneux et réalisa alors que ce dernier formait une crique qui bordait les flots azurés telle une mère cajolant son petit.

Sans crier gare, Sulfur fit un bond en direction du vide. La peur et l’hésitation ne semblaient pas faire partie de son vocabulaire comme bien d’autres émotions d’ailleurs. D’une main, il vint frôler la paroi rocheuse pour ralentir sa chute. Poussières et rochers l’accompagnèrent presque silencieusement dans sa descente. C’est dans un imperceptible bruissement qu’il atterrit en douceur sur une plage de sable fin. Cette nouvelle texture l’intrigua au plus haut point et il plongea ses mains dans le sol friable. C’était doux mais à la fois rugueux, ferme mais à la fois fuyant. 

Tout à sa découverte, Sulfur expérimenta le sable qui s’échappait entre ses doigts pendant un instant avant d’entendre un son tout proche. C’était comme si quelque chose émergeait de l’eau. Intrigué, il tourna la tête et aperçut une créature à l’apparence étrange dans une eau tout aussi étrange. Cette dernière se dissimula rapidement derrière des rochers qui jonchaient le rivage. Le sauveur hésita. Devait-il se focaliser sur la créature ou bien sur l’étrange teinte de l’eau ?

Un détail vint alors le frapper. L’endroit où il se tenait dégageait une atmosphère malsaine et familière. L’air y avait un goût âcre, pourri et l’eau jusque là d’un bleu céleste tirait à présent sur un vert chatoyant. Et que dire de la créature. Celle-ci semblait ne pas oser s’approcher de lui. Cela ne ressemblait pas à de la peur ou à de la timidité, comme il avait pu le voir lors de ses rencontres passées. Non, cela ressemblait plutôt à quelque chose comme … de la honte.

Voulant satisfaire sa curiosité naissante, il décida de faire le premier pas et se dirigea vers le bord de l’eau. Voyant cela, la créature s’agita et prise de panique, elle disparut dans les flots. Sulfur se figea à quelques centimètres du rivage. celui-ci semblait avoir bien des couleurs. A la fois rougeâtre, puis azur et à présent vert. Pourquoi ? Pourquoi tant de nuances si différentes pour une seule et même chose ? Même l’eau normalement limpide était devenue trouble et opaque au point où l’on avait du mal à voir son propre reflet. Il s’accroupit et tendit la main pour les vagues.

“Noooon !”

Un cri strident retentit et Sulfur laissa son geste en suspens. Sans qu’il s’en rende compte, la mystérieuse créature était réapparue et se tenait à quelques mètres de lui. Elle était suffisamment près pour qu’il puisse la distinguer parfaitement.

Le haut de son corps avait un aspect humanoïde qu’il n’avait encore jusque-là jamais vu chez aucune autre créature mis à part lui-même. Le bas, quant à lui, semblait avoir pris une apparence plus adéquate pour le milieu où elle résidait. On pouvait y voir un long appendice recouvert d’écailles se terminant par une nageoire caudale fine et délicate. En d’autres temps, cet être aurait pu se révéler envoûtant mais sa peau sombre et mutilée laissait place à présent à une terreur glaçante.

Se sachant hideuse, la sirène essaya de cacher son corps à l’aide de ses bras frêles mais c’était peine perdue. Sulfur pouvait clairement voir sa peau fripée et difforme comme si elle avait fondu. Il pouvait voir sa queue tantôt parsemée d’écailles tantôt recouverte de pustules. Il pouvait la voir trembler de honte et d’embarras. Il se releva alors avec souplesse et inclina sa tête d’un air interrogateur. Ne voyant pas le dégoût auquel elle s’attendait, la créature ouvrit une nouvelle fois la bouche et d’une voix un peu gutturale, elle expliqua brièvement : 

“ Eau … Danger … Acide.”

Sulfur sourit puis, comme s’il n’avait pas entendu l’avertissement, il feignit de mettre les pieds dans l’eau. 

Un nouveau “Nooon” retentit. 

Oubliant son malaise, la sirène s’approcha du sauveur, mains tendues vers l’avant et essaya de le repousser vers le rivage. Sulfur s’exécuta mais son sourire avait disparu. Ses yeux blancs fixèrent la créature aquatique et une envie viscérale de l’attraper le frappa corps et âme. Ses doigts tressaillirent au souvenir du jackalope qu’il avait tenu dans sa poigne. D’un mouvement sec, il tendit alors le bras vers la sirène et ouvrit la main comme pour recevoir quelque chose. 

Surprise, la sirène le regarda sans comprendre. Tandis qu’elle cherchait des réponses à ses interrogations, son regard croisa celui de Sulfur. Le contact fut bref mais il la laissa à la fois confuse et tremblante. C’était comme si, l’espace d’un court instant, on avait pû lire au plus profond de son être. Ses faiblesses, sa douleur, son déshonneur… tout ! Ne sachant pas trop comment réagir, elle entreprit d’observer d’un peu plus près Sulfur. C’est alors qu’elle les vit. Quatre magnifiques gemmes qui trônaient fièrement sur un duvet d’ébène. 

Et tout devint limpide.

D’un battement de queue, elle disparut dans les profondeurs de l’océan. Le temps sembla s’arrêter mais Sulfur s’en moquait et attendit patiemment que la sirène réapparaisse. Lorsqu’elle revint, elle était accompagnée par ses pairs. Tout comme elle, ces dernières présentaient les mêmes mutilations et leurs voix rauques et éteintes semblaient murmurer un nom. Puis il la sentit, cette drôle de sensation qui avait l’air de le poursuivre où qu’il aille. 

Une main frémissante et brûlée lui présenta une coquille St Jacques. Sulfur s’en saisit et l’ouvrit. Sa gemme était là ! Tel un joyau aux reflets irisés reposant dans son écrin de nacre. Alors il les entendit. Il entendit leurs chants mélodieux se transformer en cris rauques. Il vit la mer bouillir et la belle peau lisse des créatures fondre comme neige au soleil. Puis tout changea. L’eau, les sirènes, l’air. Tout devint lugubre et nauséabond.

Il s’empara de la gemme et la plaça parmi les autres. Les sirènes se mirent à pleurer à chaudes larmes à l’unisson, comme si un poids leur avait été ôté, comme si on était enfin venu les libérer. Sulfur, quant à lui, visualisait encore les images du passé qui se répétaient sans cesse dans son esprit. Tout semblait devenir de plus en plus clair.

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